« Le travail est une ressource que l’on peut gérer comme un commun »
Gaël Giraud est économiste, il est notamment directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et chef économiste de l’AFD (Agence française de développement). Pour TZCLD, il se penche sur le projet en analysant la gestion du travail comme un « commun » (voir encadré).
Vous présentez dans vos travaux la gestion des communs (voir encadré) comme une solution aux trois crises majeures que vous identifiez actuellement : écologique, sociale et de la représentation politique. L’emploi peut-il être considéré comme un commun ?
Gaël Giraud : La tradition économique néoclassique, depuis deux siècles, postule que le travail est une marchandise privée. Il y a donc une lecture possible de la construction institutionnelle du salariat qui fait du salarié une chose, avec un « marché du travail » et un salaire fixé comme un prix dans une relation flexible entre l’offre et la demande. Pour moi, en aucune façon le travail ne peut être considéré comme une marchandise, puisque c’est une activité humaine socialisée. Personne ne travaille tout seul. Le travail est une ressource que l’on peut gérer comme un commun.
Que serait une société dans laquelle le travail serait considéré comme un commun ?
Il y a deux aspects. D’abord, l’emploi proposé par l’Etat comme employeur en dernier ressort. Contrairement à la proposition d’un revenu universel, à laquelle je ne suis pas favorable, mais qui a la force de désamorcer la nécessité de travail de la survie, la garantie d’offrir un emploi permet de resociabiliser la personne. C’est un changement d’optique complet par rapport à une posture pouvant être considérée comme de l’assistanat paternaliste. Dans le contexte actuel, la nécessaire transition écologique et cette proposition d’Etat comme employeur en dernier ressort se rejoignent : on a besoin de créer énormément d’emplois pour faire cette transition. Passer d’une économie carbonée à une économie basée sur les énergies renouvelables exige beaucoup de travail humain.
Le 2e aspect est l’autogestion. Considérer le travail comme un commun oblige à revisiter complètement le statut de l’entreprise. Le code civil français ne donne pas de statut à l’entreprise, l’objet juridique existant étant la société, détenue par les capitalistes. Il y a donc dans le concept même de l’entreprise juridiquement défini, un rapport de propriété privée. Une des propositions formulées pour désamorcer cela est celle de l’avocat Daniel Hurstel, à savoir modifier le code civil pour donner à l’entreprise un statut de communauté de parties prenantes ordonnées à un travail socialement utile. Pour moi, si l’on veut que l’emploi soit un commun, il faut, en plus, que le résultat positif de l’entreprise soit redistribué entre les différentes parties prenantes.
Qu’est-ce qui déclenche la gestion d’un commun ?
Les expériences que l’on a du côté de l’AFD (Agence française de développement), c’est que cette gestion s’organise quand on est au bord de la crise. En matière d’emploi, ce qui fait obstacle, c’est que la petite élite métropolitaine des 30 % de la population ayant accès aux études supérieures et qui a des pouvoirs médiatiques, économiques, financiers et politiques, n’est pas en crise du tout.
Comment articuler le rôle de l’Etat et celui de la société civile dans la gestion de l’emploi comme commun ?
L’écrivain britannique Bob Jessop fait le lien entre « collaboration » et « calibration ». C’est-à-dire que la collaboration entre l’Etat et la société civile oblige le premier à calibrer son intervention. La question étant de savoir qui, aujourd’hui, dans la fonction publique, est en capacité de faire cela ?
Comment envisagez-vous l’avenir politique français ?
Il y a deux scénarios possibles. L’un semblable à ce que vit l’Italie, avec l’émergence d’un clown faisant semblant d’animer le débat mais sans aucun programme substantiel ni aucune expérience politique et qui arrivera au pouvoir avec l’extrême droite. L’autre, c’est ce que l’on voit apparaître au Portugal et en Espagne, qui émerge peut-être en Allemagne, à savoir une vraie proposition alternative sociale écologique. Celle-ci étant le relai idéal de votre expérimentation.
Qu’est-ce qu’un commun ?
La notion de commun est issue des travaux d’Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie américaine. Aux « biens publics », dont la consommation n’est pas exclusive et l’accès ne peut être régulé, aux « biens privés », dont la consommation est exclusive et l’accès peut être régulé et aux « biens club », dont la consommation n’est pas exclusive mais l’accès peut être régulé, l’économiste ajoute un 4e type de biens : les « biens communs », dont la consommation est exclusive mais l’accès ne peut être régulé. La consommation de ces biens communs les rend fragiles, il est donc nécessaire d’élaborer des règles élémentaires pour les gérer.