Droit à l’emploi pour les migrants et présentation d’initiatives inspirantes : retour sur la 2e édition de l’Université d’été TZCLD
La 2e édition de l’Université d’été TZCLD s’est tenue samedi 31 août 2019 dans les locaux de la Mairie du 18e arrondissement de Paris. Près de 300 personnes étaient au rendez-vous pour cette matinée riche d’échanges autour d’enjeux de société liés au projet Territoires zéro chômeur de longue durée.
Réaffirmant son soutien à l’extension de l’expérimentation à de nouveaux territoires, Eric Lejoindre, maire du 18e arrondissement de Paris, a ouvert cette matinée en notant que “Territoires zéro chômeur de longue durée représente une solution supplémentaire à la question du chômage indispensable pour le 18e”. “Aujourd’hui, TZCLD est en contact avec environ 200 parlementaires et 90 territoires ont commencé un travail sérieux pour développer la démarche, a noté Laurent Grandguillaume, président de l’association. Nous avons besoin d’une 2e loi, nous n’avons pas eu de retour du gouvernement suite à la mobilisation du 18 juin et nous espérons avoir du neuf en cette rentrée : où allons-nous ? Nous attendons l’étincelle, c’est-à-dire la loi pour déployer le projet.” Commentant la présentation du programme de cette Université d’été 2019, Michel de Virville, vice-président de l’association, a rappelé que “cet événement a pour intérêt de prendre de la distance et d’aborder la manière dont Territoires zéro chômeur de longue durée irrigue les questions de notre société”.
“Inspirons-nous” : présentation de 6 initiatives
“TZCLD a besoin de travailler avec d’autres acteurs. Cet évènement est le lieu de la présentation d’autres expérimentations”, a précisé Laurent Grandguillaume. Six initiatives inspirantes ont ainsi été présentées :
- Café contact de l’emploi : Paul Landowski, fondateur et directeur de Café contact de l’emploi, a présenté cette initiative qui a pour objectif de permettre à toute personne en recherche active d’un travail, surtout les plus éloignées de l’emploi, d’accéder à de véritables entretiens d’embauche sans présélection par CV. Ces rencontres sont organisées dans un café, lieu public, accessible à tous et convivial. Les entreprises ayant des besoins de recrutement viennent directement à la rencontre des candidats. Il n’y a pas de “profil type” des demandeurs d’emploi qui utilisent ce service, ce sont des personnes motivées, qui veulent travailler et qui viennent à la rencontre des “offreurs d’emplois”.
- Décoll’ton job : cette initiative, présentée par Jessica Beauguitte, sa co-fondatrice et présidente, vise à recréer un réseau de petites annonces chez les commerçants (ou dans des lieux associatifs et solidaires) grâce à un panneau visible de la rue et mis à jour chaque semaine. Ces annonces concernent des postes sans qualification ou manuels. Le concept est plébiscité par les entreprises car c’est un recrutement local. Cela permet de remettre le lien, la proximité et la solidarité au coeur de la recherche d’emploi. L’aventure a commencé à Nantes puis s’est rapidement élargie à toute la Loire atlantique. À ce jour, 850 offres d’emploi ont pu être publiées grâce aux panneaux.
- Act’ens : Annie Boyer-Gouba, présidente d’Act’ens, a présenté ce concept de “boîte à outils”, lancé il y a deux ans en Ile-et-Vilaine. L’accompagnement pour l’entrée ou le retour à l’emploi proposé par Act’ens permet un parcours individualisé à destination de personnes en fragilité alliant le maraîchage (grâce à un jardin d’insertion) et des entretiens réguliers avec une équipe pluridisciplinaire d’intervenants spécialisés. L’accent est mis sur la nécessité de créer un cadre de confiance afin de pouvoir aborder une grande diversité de sujets (tels que la santé et le bien-être, les savoir être et savoir faire, les rythmes de travail), mais aussi d’encourager la créativité et le faire ensemble dans le respect de l’individu. L’objectif est de permettre aux personnes accompagnées d’être actrices de leur projet, tout en sécurisant leur parcours professionnel.
- Monalisa : Cette association, dont le nom signifie “mobilisation nationale contre l’isolement social des personnes âgées”, a été présentée par Jean-François Serres, son référent national. Impulsée en 2012 par l’ensemble des acteurs concernés par l’accompagnement des personnes âgées dans leurs parcours de vie (Ministère de la Santé, acteurs associatifs de la solidarité, caisses de retraite, CCAS, villes…) et la société civile, l’association vise à créer un consensus territorial pour lutter contre l’isolement social des personnes âgées. Le principe est de réunir toutes les parties prenantes d’un même territoire qui souhaitent ouvrir un débat éthique et politique sur ce sujet et de réinterroger la posture de chacun afin de de prendre connaissance de ce qui existe déjà et d’oeuvrer à créer des synergies en tissant une dynamique de réseau.
- TYB Jobs : ce cabinet de conseil en innovation sociale a été présenté par Mouna Viprey, sa co-fondatrice. Spécialisé dans l’accompagnement à l’emploi des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des jeunes décrocheurs, le cabinet a constitué un écosystème d’acteurs engagés afin de partager les bonnes pratiques en matière de recrutement et de permettre à ces jeunes d’intégrer des entreprises qui, par ailleurs, ont des besoins de recrutement non pourvus. TYB Jobs repère les candidats potentiels et les encourage à intégrer un parcours de formation constitué de 4 semaines d’accompagnement préalables à la signature du contrat de travail. Pendant 4 mois, le candidat et l’employeur sont ensuite épaulés, notamment par les visites sur site d’un expert qui sécurise la mise à l’emploi en encourageant la création d’un lien de confiance entre le jeune et son tuteur professionnel.
- Permis de faire : présenté par sa fondatrice et dirigeante Sophie Léron, Permis de faire accompagne des projets de transformation ancrés sur leurs territoires, qui portent une dimension culturelle, particulièrement dans les secteurs du bâtiment, de l’urbanisme et de l’architecture. Cette démarche part du territoire et de de ses acteurs afin de révéler leurs richesses et de construire un projet visant à décloisonner les échanges. Sophie Léron a fait le parallèle entre le projet TZCLD et le projet d’urbanisme et d’architecture La preuve par 7 qui s’inscrit dans la continuité d’une des dispositions de la loi “Liberté de création architecture et patrimoine” votée en 2016. Ce texte permet, pour une durée de 7 ans aux collectivités qui le souhaitent, de porter des projets d’architecture et d’urbanisme valorisant une logique de résultats plutôt que de moyens. Commencer par le faire, par la démonstration réussie permet de faire preuve, puis jurisprudence et d’être ainsi facteur de changement .
“Le droit à l’emploi pour les migrants” : une table ronde riche de pistes à explorer
“La notion de l’exhaustivité dans le projet concerne toutes les personnes et aussi les migrants”, remarque Laurent Grandguillaume au sujet de la table ronde sur “le droit à l’emploi pour les migrants”. “La définition d’un ‘migrant’ par l’ONU, c’est une personne qui a quitté son pays depuis plus d’un an. Derrière cette définition, il faut distinguer les migrations forcées qui conduisent à un parcours de droit d’asile et les migrations étudiantes, professionnelles, familiales…”, rappelle Fatiha Mlati, directrice de l’intégration à France Terre d’asile. Notant qu’un demandeur d’asile “peut accéder au travail si les institutions n’ont pas traité sa demande dans les 6 mois” et que les réfugiés statutaires “ont les mêmes droits que les nationaux”, elle déplore “le parcours du combattant de l’intégration dans l’emploi”. “Il est d’abord nécessaire de stabiliser les personnes par l’hébergement pour pouvoir ensuite se concentrer sur leur parcours professionnel”, indique-t-elle, en levant les freins que sont la langue, l’isolement social et le manque de réseau, l’absence de reconnaissance des diplômes… “Si le droit commun est insuffisant, il faut le compléter, le renforcer, faire de l’individuel pour sortir d’un cadre souvent trop standardisé et uniforme”, explique Olivier Borius, directeur adjoint à l’intégration du Forum des réfugiés – Cosi, donnant l’exemple d’une Garantie jeunes “réfugiés” renforcée de cours de langue notamment qui affiche “80% de sorties positives”.
Quid des migrants qui n’ont pas le droit de travailler ?
“Il est difficile de quantifier cette population, remarque Christophe Deltombe, président de La Cimade. On peut estimer qu’il y a environ 350 000 personnes en situation irrégulière, dont beaucoup de ‘ni ni’ : ni expulsables, ni régularisables. Ces gens ne sont pas des assistés, mais de véritables acteurs économiques, qui travaillent au noir ou sous alias.” L’activité économique peut faciliter la régularisation, mais “ces soupapes de sécurité ont tendance à disparaître, on régularise de moins en moins par ce biais”, s’indigne Christophe Deltombe. Pour permettre ces “soupapes”, Emmaüs France a porté un amendement lors de l’examen de la loi “asile et immigration” en 2018 permettant que le travail d’une personne migrante présente en communauté Emmaüs depuis au moins 3 ans soit reconnu dans le cadre de la demande de régularisation. “Depuis le mois de mars 2019, 800 dossiers sont sur les tables des préfets et déjà une centaine de régularisations ont été accordées”, se félicite Hubert Trapet, président d’Emmaüs France. “Ces personnes sont une véritable force vive pour les communautés”, ajoute Bernard Arru, directeur de TZCLD qui a fondé les Ateliers du bocage, entreprise d’insertion née d’une communauté Emmaüs des Deux Sèvres. “L’insertion par l’activité économique permet à certaines personnes migrantes d’obtenir une promesse d’embauche et donc d’étayer leur demande de régularisation”, poursuit Bernard Arru. La Fédération de l’entraide protestante souhaite d’ailleurs porter un projet visant à promouvoir davantage les régularisations par le travail. “Il s’agit dans un premier temps de détecter les territoires où il y aurait conjonction d’emplois non-pourvus, présence de migrants et des préfets intéressés”, détaille Pascal Godon, administrateur de la FEP. “À partir du moment où on interdit le travail, on place les personnes dans l’assistance, on les enferme dans des sas, or personne ne tirera profit de la déshumanisation”, conclut Christophe Deltombe.
“Le problème ce n’est pas l’emploi, c’est le travail !”
Grand témoin invité en conclusion de cette 2e édition de l’Université d’été, le philosophe Bernard Stiegler est venu présenter le projet de “territoire apprenant contributif” qu’il porte sur Plaine commune (93). “Il est nécessaire de décorréler l’emploi et le travail. L’emploi est dévalorisé aujourd’hui et dans un contexte de déclin de l’emploi, il ne faut plus faire reposer l’économie sur cet emploi”, remarque le philosophe. Il appelle à “créer des emplois au service des besoins sociaux” et à “insuffler de l’emploi intermittent, pas au sens précaire du terme”. “Un intermittent est quelqu’un qui travaille plus lorsque quand il n’est pas employé. Cela pourrait s’étendre à de nouvelles activités, en mettant en place d’une nouvelle couverture sociale”, avance-t-il. Sur le territoire de Plaine Commune, le travail est engagé avec des habitants, des associations, des experts, des PME, des grandes entreprises, etc. “Nous sommes en train de faire ce que vous nommez ‘Fabrique du consensus’, remarque Bernard Stiegler, en valorisant les initiatives existantes et en encourageant les porteurs de projet.” En projet sur le territoire de Plaine Commune : une clinique contributive en lien avec une PMI (protection maternelle et infantile), un travail sur le développement urbain à l’occasion des Jeux olympiques, le recyclage de l’argile en matériau de construction innovant… “Les EBE pourraient être des tremplins pour ces choses”, souligne le philosophe.