Publication du bilan final de l’expérimentation par le Fonds ETCLD : interview croisée entre Laurent Grandguillaume et François Nogué

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Le Fonds ETCLD vient de publier le bilan final de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée. Ce bilan tire les enseignements de près de 10 ans de mise en œuvre de la démarche et constitue un point d’appui pour dessiner la suite du projet. Regards croisés de Laurent Grandguillaume, Président de TZCLD, et de François Nogué, Président du Fonds ETCLD.  

Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste le bilan de l’expérimentation produit par le Fonds ETCLD ? 

François Nogué, Président du Fonds ETCLD : La loi du 14 décembre 2020 a confié au Fonds d’expérimentation la responsabilité de réaliser un bilan de la deuxième étape de la démarche. Ce bilan analyse la mise en œuvre et l’impact des différents objets expérimentaux créés par la loi : territoires habilités, comités locaux pour l’emploi, entreprises à but d’emploi… C’est l’un des éléments importants, à côté du rapport d’évaluation du “Comité scientifique” attendu pour cet été, sur lesquels le législateur va s’appuyer pour préciser les suites à donner à l’expérimentation. Basé sur la collecte de nombreuses données chiffrées et de centaines de témoignages, il sera complété d’ici juin prochain par huit feuillets thématiques analysant de façon plus détaillée différentes dimensions de l’expérimentation.

Quels sont les éléments clefs que vous tirez du bilan de l’expérimentation ? 

François Nogué : L’expérimentation a d’abord permis de créer plus de 4 000 emplois, dans près de 90 territoires, pour des personnes durablement éloignées de l’emploi (en moyenne depuis près de 5 ans !) et en grande difficulté. Elle a créé des emplois utiles dans les domaines de l’économie solidaire et de la transition écologique et a favorisé une forme d’entrepreneuriat social à travers l’essaimage sur tout le territoire de 86 Entreprises à but d’emploi (EBE). Au cours des dix années passées, l’expérimentation s’est affirmée comme un maillon complémentaire essentiel de l’insertion pour nos concitoyen·nes qui sont les plus durablement éloigné·es de l’emploi. Au-delà des bénéfices sociaux et sociétaux incontestables, le bilan souligne aussi son coût maîtrisé : 75 % au moins des coûts budgétaires de la démarche sont en effet compensés d’une part par des économies (RSA, allocations chômage), d’autres part par des recettes nouvelles engendrées par les emplois créés (cotisations sociales, TVA…). 

Quels enseignements tirez-vous de l’expérimentation ? 

Laurent Grandguillaume, Président de TZCLD : Les enseignements sont nombreux car ils se sont multipliés avec les territoires qui expérimentent. Je vais donc vous en partager quelques-uns que je souhaite mettre en valeur : 

  • Le coût de l’expérimentation est faible comparativement aux gains pour les pouvoirs publics dans leur pluralité locale et nationale. 
  • Le CDI est indispensable pour se reconstruire. Le CDI a un coût mais il n’a pas de prix. 
  • Il est possible de créer des activités qui n’entrent en concurrence avec aucune activité existante dans les territoires notamment dans le champ de la transition écologique.
  • Les acteurs construisent le projet de manière différenciée selon les territoires. Ils n’ont ni le même imaginaire social, ni la même structure d’acteurs locaux. 
  • Les acteur·rices de l’insertion ont pu se saisir du projet et le mettre en œuvre dans de nombreux territoires. Il n’y a pas d’opposition entre l’expérimentation et l’insertion, mais au contraire une conjonction et une ambition commune. 
  • Il faut développer la formation et les parcours de compétences beaucoup plus que ce n’est le cas aujourd’hui. C’est un point faible à travailler. 

Et j’ajouterai un dernier élément : il faut écouter ceux qui vous disent comment faire grandir vos projets plutôt que de vous arrêter à ceux qui vous expliquent pourquoi ils ne peuvent réussir.

En quoi ce bilan vient-il nourrir la suite du projet TZCLD ? 

François Nogué : Le bilan est un point d’appui pour la suite, d’abord parce que les résultats confirment nos convictions initiales sur l’intérêt et les conditions de réussite de la démarche. En donnant la main aux acteurs locaux, en proposant des CDI, en développant des activités utiles aux territoires, nous créons les conditions d’une action de proximité efficace. Ce bilan identifie également plusieurs pistes de progrès dans nos relations avec les structures de l’insertion par l’activité économique (IAE) voisines, dans l’articulation avec le réseau pour l’emploi, dans le développement de parcours de compétences facilitant l’évolution – pour celles et ceux qui le peuvent – vers l’emploi marchand, ou encore dans la gouvernance ou le management de nos entreprises. Certaines de ces améliorations pourront relever de la loi, mais beaucoup d’entre elles sont déjà à l’œuvre dans l’action au quotidien des équipes. 

Quel est, selon vous, le rôle de l’expérimentation dans le projet TZCLD et sa place dans l’histoire des politiques de l’emploi ?

Laurent Grandguillaume : Territoires zéro chômeur de longue durée est un projet qui doit continuer à grandir car, partout où il se développe, il interroge les politiques publiques de l’emploi, le sens du travail, la place des personnes, le but de ce que l’on produit. Nous avons démontré que c’est possible d’éradiquer la privation durable d’emploi au niveau des territoires et à petite échelle en recherchant l’exhaustivité. Nous avons aussi démontré que le chômage est une responsabilité collective et que l’État n’est pas responsable de tout. Nous avons toutes et tous une part de la solution à condition que l’on fasse un pas vers les autres acteur·rices, et vers les personnes concernées. La lutte contre la privation de travail existait bien avant que l’emploi lui-même n’existe sous sa forme moderne, le salariat. Il faut remonter notamment au XVIIIe siècle pour retrouver des traces de ce long combat contre la privation de travail sous toutes ses formes. Nous ne sommes qu’un maillon de cette longue chaîne de solidarité. Au fil du temps, la motivation a toujours été de réparer cette injustice. Les politiques de l’emploi récentes ont souvent pointé du doigt la responsabilité individuelle des personnes, ce qui est une erreur. Rappelons que ceux qui, membres du Conseil national de la Résistance, ont rédigé le préambule de notre Constitution ont fait référence, dans la même phrase, au devoir de travailler mais aussi au droit d’obtenir un emploi qui suppose la responsabilité collective.

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