Tribune : "Ensemble, faisons de l'emploi un droit"
Si la reprise économique est là, force est de constater qu’elle ne bénéficie pas à toutes et tous. Malgré la création de 490 000 emplois en 2021, ce sont 3 millions de personnes qui sont toujours privées durablement d’emploi dans notre pays et dont la grande majorité vit sous le seuil de pauvreté et sans accompagnement suffisant. Et ce chiffre, révoltant, ne prend même pas en compte les personnes ignorées par un système que les statistiques invisibilisent. Des personnes aux visages multiples mais aux trajectoires souvent similaires : pour elles, l’emploi précaire a laissé la place à la perte d’emploi tout court. Des personnes que l’économie exclut, contrainte par les exigences toujours croissantes de la compétitivité sur un marché globalisé et financiarisé. Une dynamique toxique qui entretient l’exclusion durable de personnes de la société du travail. Une réalité malheureusement occultée dans une campagne électorale qui enjambe les sujets sociaux.
Le mal est connu. Notre pays ne parvient toujours pas à résorber le chômage de longue durée et à proposer à sa population des emplois accessibles et adaptés. Nous ne pouvons nous satisfaire d’une reprise en trompe-l’œil qui favorise l’emploi précaire et encourage l’ubérisation de notre société. Il est insupportable de persévérer dans un système qui compte autant de personnes privées d’emploi qui souhaitent travailler et autant d’activités utiles non réalisées, notamment liées à la transition écologique et à la cohésion sociale. D’autant que ce mal a un coût. Pour les personnes concernées d’abord, confrontées à une exclusion sociale durable. Cette privation d’emploi est un fléau qui entraîne les personnes dans une spirale d’isolement souvent dramatique pour leur santé physique et psychique. Sans travail, pas de rémunération digne. Moins de lien social et de reconnaissance. Pas de projet d’avenir possible. Cette exclusion structurelle de l’emploi, en plus de produire des ravages personnels et d’abîmer notre cohésion sociale, représente un coût financier indéniable pour la société. Entre les dépenses directes d’allocations et les manques à gagner résultant du retour à l’emploi, le coût global de la privation d’emploi pour la puissance publique est évalué à 43 milliards d’euros par an par les acteurs associatifs. Une partie importante de ces coûts pour l’État et les collectivités territoriales pourrait être réorientée vers la création d’emplois supplémentaires. Nous en sommes convaincu·es, le droit à l’emploi ne coûte pas plus cher que la privation d’emploi.
Le temps est donc venu. Celui de la mise en place d’une garantie d’emploi territorialisée pour toutes les personnes volontaires qui en sont durablement privées. Elle n’est pas un simple concept mais le fruit d’une longue expérience des acteurs de terrain et d’expérimentations en cours. Elle ne peut pas être un énième dispositif de lutte contre le chômage mais elle doit être l’affirmation de la responsabilité qu’a la société de fournir un emploi à celles et ceux qui en sont privés. Elle ne peut pas être pensée par le haut pour un « public cible » mais elle doit être construite dans les territoires avec les personnes concernées et au plus près du terrain. Elle ne peut pas être une déclaration de principe mais elle doit permettre de passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats en mobilisant les moyens adaptés aux besoins de la population de notre pays. En somme, elle porte l’ambition de concrétiser cet acquis constitutionnel qu’est le droit d’obtenir un emploi.
Concrètement, cette garantie d’emploi sera pilotée par un comité local pour l’emploi sur chaque territoire regroupant tous les acteurs concernés par la mise en œuvre de ce droit : personnes privées d’emploi, collectivités locales, employeurs locaux, acteurs de l’insertion, associations de lutte contre l’exclusion, associations accompagnant les personnes en situation de handicap vers l’emploi, services déconcentrés de l’État, partenaires sociaux, etc. La participation de toutes et tous à ce comité est une condition sine qua non de l’atteinte de l’exhaustivité, à savoir notre capacité collective à proposer un emploi décent à toute personne qui en est durablement privée; que ce soit dans les structures de l’insertion par l’activité économique, dans les entreprises adaptées ou par la création d’entreprises dédiées à la production d’emplois supplémentaires en CDI à temps choisi. Autant de structures qui devront être soutenues davantage. Ce comité aura pour missions d’animer le consensus pour le droit à l’emploi, de rencontrer les personnes privées durablement d’emploi et de recenser leurs compétences et savoir-faire. À partir de ceux-ci, il identifiera les travaux utiles à développer sur le territoire et s’assurera que les emplois ainsi créés ne se substituent pas à des emplois existants. Ce comité local pour l’emploi sera ainsi la clé de voûte de la mise en œuvre territorialisée du droit à l’emploi dans notre pays. En outre, les entreprises elles-mêmes pourraient trouver des capacités de recrutement chez des personnes à nouveau portées par des dynamiques d’emploi et d’acquisition de compétences.
C’est pour porter ensemble cette proposition que nous formons aujourd’hui la coalition pour le droit à l’emploi. Elle regroupe l’ensemble des acteurs qui œuvrent pour ce droit et qui veulent faire entendre leur voix. Nous invitons tou·tes les candidat·es républicain·es à l’élection présidentielle à soutenir cette coalition pour faire réellement de l’emploi un droit.
Aujourd’hui, nous appelons tou·tes les citoyen·nes à nous rejoindre le samedi 12 mars à 14h à Paris, Place de la Bastille lors d’une grande mobilisation pour le droit à l’emploi.
Pour que demain, plus aucune personne aspirant à travailler ne soit exclue de l’emploi !
Signataires :
Laurent Grandguillaume, Président de Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD)
Pascal Brice, Président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)
Véronique Devise, Présidente du Secours Catholique Caritas France
Jean-Baptiste de Foucauld, Président du Pacte Civique
Louis Gallois, Président du Fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée
(ETCLD)
Marie-Aleth Grard, Présidente d’ATD-Quart-Monde
Laurent Pinet, Président du réseau COORACE
Antoine Sueur, Président d’Emmaüs France
Julie Battilana, Professeure à l’université d’Harvard
Laurent Berger, Secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)
Axelle Brodiez-Dolino, Chargée de recherche au CNRS
Christian de Brunier, Président de l’Union Nationale des Associations Intermédiaires (UNAI)
Denis Clerc, Fondateur d’Alternatives économiques
Mahel Coppey, Présidente du Réseau des collectivités Territoriales pour une Economie Solidaire (RTES)
Chloé Corvée, Présidente nationale de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC)
Jézabel Couppey-Soubeyran, Maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Yohan David, Président d’Alliance Villes Emploi
Bernard Devert, Président de la Fédération Habitat et Humanisme
Patrick Doutreligne, Président de l’Union Nationale des Oeuvres et organismes Privés non lucratifs
Sanitaires et Sociaux (UNIOPSS)
Timothée Duverger, Maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux
Isabelle Ferreras, Professeure de sociologie à l’Université de Louvain
Jean-François Foucard, Secrétaire National Confédéral en charge du secteur Parcours
professionnel-Emploi-Formation de la Confédération Française de l’Encadrement-Confédération Générale des Cadres (CFE-CGC)
Bernard Gazier, Professeur émérite de sciences économiques à l’université Paris 1
Claude Grivel, Président de l’Union nationale des acteurs du développement local (UNADEL)
Dominique Hays, Président du Réseau Cocagne
Paul Israël, Président du Comité Chrétien de Solidarité avec les Chômeurs et les précaires – Vaincre le chômage (CCSC)
Gilles de Labarre, Président de Solidarités nouvelles face au chômage (SNC)
Pierre-Edouard Magnan, Président du Mouvement National des Chômeurs et Précaires (MNCP)
Radoine Mebarki, Président de Tous Tes Possibles
Dominique Méda, Professeure d’Université
Elodie Nace, Porte-parole d’Alternatiba
Pascale Ribes, Présidente d’APF France Handicap
Jean-Marc Richard, Président de la Fondation Amipi – Bernard Vendre
Chloé Ridel, Directrice adjointe de l’Institut Rousseau
Léo Rosell, Président du Vent du changement
Jérôme Saddier, Président d’Economie Sociale et Solidaire France (ESS France)
Hugues Sibille, Président du Labo de l’ESS, administrateur du Fonds d’expérimentation contre le chômage de longue durée
Emmanuel Stéphant, Président de CHANTIER école, réseau national des Entreprises Sociales Apprenantes
Pavlina Tcherneva, Professeure associée au Bard College, Directrice de l’OSUN Economic Democracy
Initiative
Carole Tuchszirer, Chercheure/socio économiste CNAM